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Au fil des questions au programme d'histoire-géographie des classes de lycée. Des commentaires, exercices, rappels, ...

vendredi 11 novembre 2011

Regards d'écrivains sur l'Allemagne nazie

L'Allemagne nazie ... l'expression évoque d'abord le régime hitlérien, la mise en oeuvre de la Solution finale, une société enrégimentée, un passé difficile à assumer ... Mais l'Allemagne nazie est aussi le foyer d'une résistance ordinaire, d'une résistance des humbles. C'est de cette résistance ordinaire que traite le roman de Hans Fallada, paru en 1947 ( après le décès de son auteur), intitulé Seul dans Berlin ( Jeder stirbt fûr sich allein).

Seul dans Berlin raconte l'itinéraire d'un couple allemand, le couple Quangel, un couple ordinaire, jusque là membre du Parti, dont le fils Otto est parti se battre pour le régime sur le front de l'Est, et qui, peu à peu, bascule dans la remise en cause, accepte l'idée de s'opposer, et passe à l'acte, en l'occurrence, une résistance au quotidien, qui consiste à glisser sous les portes des appartements des messages anti-hitlériens. Pour Primo Levi, Seul dans Berlin est l'un des plus beaux livres sur la résistance antinazie. 


"–Otto est mort Trudel !Du fond du cœur de Trudel monte le même « Oh ! » profond qu’il a eu lui aussi en apprenant la nouvelle. Un moment, elle arrête sur lui un regard brouillé de larmes. Ses lèvres tremblent. Puis elle tourne le visage vers le mur, contre lequel elle appuie le front. Elle pleure silencieusement. Quangel voit bien le tremblement de ses épaules, mais il n’entend rien.« Une fille courageuse ! se dit-il. Comme elle tenait à Otto !… A sa façon, il a été courageux, lui aussi. Il n’a jamais rien eu de commun avec ces gredins. Il ne sest jamais laissé monter la tête contre ses parents par la Jeunesse Hitlérienne. Il a toujours été contre les jeux de soldats et contre la guerre. Cette maudite guerre !… »Quangel est tout effrayé par ce qu’il vient de penser. Changerait-il donc, lui aussi ? Cela équivaut presque au « Toi et ton Hitler » d’Anna.Et il s’aperçoit que Trudel a le font appuyé contre cette affiche dont il venait de l’éloigner. Au-dessus de sa tête se lit en caractère gras :AU NOM DU PEUPLE ALLEMANDSon front cache les noms des trois pendus.Et voilà qu’il se dit qu’un jour on pourrait fort bien placarder une affiche du même genre avec les noms d’Anna, de Trudel, de lui-même… Il secoue la tête, fâché… N’est-il pas un simple travailleur manuel, qui ne demande que sa tranquillité et ne veut rien savoir de la politique ? Anna ne s’intéresse qu’à leur ménage. Et cette jolie fille de Trudel aura bientôt trouvé un nouveau fiancé…Mais ce qu’il vient d’évoquer l’obsède :« Notre nom affiché au mur ? pense-t-il, tout déconcerté. Et pourquoi pas ? Etre pendu n’est pas plus terrible qu’être déchiqueté par un obus ou que mourir d’une appendicite… Tout ça n’a pas d’importance… Une seule chose est importante : combattre ce qui est avec Hitler… Tout à coup, je ne vois plus qu’oppression haine, contrainte et souffrance !… Tant de souffrance !… « Quelques millier » , a dit Borkhausen ce mouchard et ce lâche… Si seulement il pouvait être du nombre !… Qu’un seul être souffre injustement, et que, pouvant y changer quelque chose, je ne le fasse pas, parce que je suis lâche et que j’aime trop ma tranquillité… »Il n’ose pas aller plus avant dans ses pensées. Il a peur, réellement peur, qu’elles ne le poussent implacablement à changer sa vie, de fond en comble.Au lieu de cela, il contemple de nouveau ce visage de jeune fille au-dessus duquel on lit AU NOM DU PEUPLE ALLEMAND. Elle ne devrait pas pleurer ainsi, appuyée justement à cette affiche !… Il ne peut résister à la tentation ; il écarte son épaule du mur et dit, aussi doucement qu’il peut :–Viens, Trudel. Ne reste pas appuyée contre cette affiche !Un moment, elle regarde sans comprendre le texte imprimé. Ses yeux sont de nouveau secs, ses épaules ne tremblent plus. Puis la vie revient dans son regard. Ce n’est plus un éclat joyeux, comme lorsqu’elle s’avançait dans ce couloir ; c’est un feu sombre, à présent. Avec fermeté et douceur à la fois, elle pose la main à l’endroit où se lit le mot « pendaison » :–Je n’oublierai jamais, dit-elle, que c’est devant une de ces affiches que j’ai sangloté à cause d’Otto… Peut-être mon nom figurera-t-il aussi un jour sur un de ces torchons.Elle le regarde fixement. Il a le sentiment qu’elle ne comprend pas toute la portée de ce qu’elle dit. (Pages 34-36)



Hans Fallada - de son vrai nom Rudolf Ditzen - est un écrivain allemand né en Poméranie. Il a travaillé dans l'agriculture, l'édition, le journalisme, avant de pouvoir vivre de sa plume. C'est son deuxième roman : Kleiner Mann, was nun ? ( Et puis après? ), publié en 1932, qui lui confère une notoriété internationale. Le roman évoque l'itinéraire d'un jeune comptable, besogneux et honnête, que la crise économique fait plonger dans l'engrenage du chômage et de la misère. Avec ce roman, Fallada/Ditzen devient un chef de file du mouvement réaliste de la Neue Sachlichkeit ( mouvement qui compte des écrivains allemands tels Erich Kästner, Erich Maria Remarque)
Avec la prise de pouvoir de Hitler ( 1933), Fallada se retire sur ses terres de Feldberg ( Mecklembourg) où il se tient à l'écart de la vie publique. En 1944, il entame la rédaction de son roman Der Trinker ( Le Buveur) qui rappelle le parcours de l'auteur, lui-même alcoolique et morphinomane. 


Pour en savoir plus sur l'auteur ( site en anglais ) 

Sources : 
http://mondalire.pagesperso-orange.fr/seul_dans_berlin.htm#hp
http://kirjasto.sci.fi/hfallada.htm

1 commentaire:

  1. Merci pour ce post sur un excellent roman, qui témoigne de la difficulté de résister au sein du IIIème Reich. Après l'avoir lu, on fait très attention aux papiers que l'on jette négligemment dans la rue...

    JB

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